Le Christianisme et le Destin d’une Nation
Depuis des décennies, le pouvoir politique en Haïti est caractérisé par une éclipse du sens de Dieu. La racine la plus profonde du combat entre la culture de vie et la culture de mort est l’éclipse du sens de Dieu. L’homme au pouvoir est irrésistiblement attiré par des forces ténébreuses qui redéfinissent sa vie selon les rituels obscurs du nouvel espace de travail. Une vie comme si Dieu n’existait pas fait perdre à l’homme non seulement le sens du mystère de Dieu et du sacré, mais encore celui du mystère de son être même. Il en découle des relations faussées avec ses semblables et une perte de la solidarité authentique.
On ne peut travailler pour le bonheur de l’homme quand on a perdu le sens de l’homme. On comprend pourquoi en Haïti l’indifférence domine l’esprit de la plupart de nos dirigeants. On ne peut donner ce qu’on n’a pas. L’amour du prochain ne peut être appris que dans la doctrine du Christ, laquelle peut nous aider à trouver des éléments de la grandeur de l’homme. En effet, le pouvoir dans le monde est dominé par le sécularisme. Cette conception ne se décide pour aucune forme religieuse, et signifie le rejet de l’influence de Dieu. Romano Guardini avertissait du danger : « Sans l’élément religieux, la vie devient un moteur sans essence ».
Dans son « Cours de Philosophie de l’histoire » publié à Bruxelles, Jean Jacques Altmeyer fait remarquer que « La foi apporte ici-bas et développe en l’homme des idées de bonheur, d’excellence, de perfection idéale, auxquelles rien ne répond dans cette vie et qui sont pour lui le gage d’une vie à venir. La foi est la lumière et la poésie de la vie ; on ne la détruit pas sans briser le lien qui rattache l’homme à l’infini. Ainsi l’élément religieux est indispensable pour donner du poids aux institutions terrestres ».
Nous savons bien que la science de l’homme par l’homme, sans Dieu, le conduit à la nonchalance et à l’isolement. Celle-ci, en effet, brise tous les liens qui rattachent le fini à l’infini, et il ne reste à l’homme que ce qu’il a de terrestre et de grossier. Ainsi donc, les valeurs religieuses, spirituelles, sont remplacées par des valeurs matérielles, séculières. La générosité fait place à la cupidité et l’avarice. Le matérialisme devient alors la règle de vie et proclame la mort de Dieu. Le bonheur de l’autre n’existe plus ; la recherche de la richesse devient le mobile principal de toutes les actions. S’adressant aux juifs et aux docteurs de la loi, Jésus leur dit : « Gardez-vous de toute avarice ; car la vie d’un homme ne dépend pas de ses biens, fut-il dans l’abondance ».
En ce sens, la liberté n’existe pas en Haïti et pour ceux qui dirigent et pour ceux qui subissent les effets de la mauvaise gouvernance. Il n’y a pas de vraie liberté avec la structure sociale telle qu’elle est conçue par l’homme déchu. Selon Skinner, « nous ne sommes pas victimes de notre environnement, notre vrai problème c’est que nous avons perdu le sens de la culpabilité ». Si la perte du sens de Dieu entraîne l’impossibilité d’une solidarité entre les hommes ; cela est particulièrement vrai des relations au sein de la cellule familiale. Nous ne pouvons agir au-delà des schèmes de pensées et de comportement qui nous sont transmis par notre société. Ce qui se passe à l’extérieur de nous n’est que la projection de ce qui est en nous. Le monde, notre environnement et nos amis ne sont que la projection de notre monde intérieur.
Si le pouvoir en Haïti doit s’exercer selon les principes séculiers contemporains, donc naturellement, Dieu n’a aucune place dans les affaires de l’Etat. Et comme la perte du sens de Dieu entraîne logiquement la perte du sens de l’homme, le seul élément qui soit en mesure de gérer les actions funestes de l’homme sans Dieu en position d’influence, c’est le control social. Or, jusqu’à maintenant, on ne connaît aucune forme de valeur qui ait été instituée par la société comme guide devant accompagner les hommes au pouvoir et dont la société se sert pour ordonner leurs actes et réprimer leur conduite.
Ainsi donc, le pouvoir ne prend pas la forme qui lui est donnée par la société ; elle s’exerce en fonction de la volonté ou des intérêts du groupe au pouvoir. Et depuis 1806, les hommes se succèdent à la tête de l’Etat en Haïti : les politiciens, les intellectuels, les technocrates, les militants, les opportunistes, etc. Ils obtiennent sans doute des satisfactions personnelles ; celui-ci est millionnaire, celui-là ne sera plus jamais pauvre ; mais le pays continu désespérément sa descente vers l’abîme. Ce qui a porté le professeur Leslie Manigat, dans son « Entretien » avec les leaders protestants en Mai 2005, à se poser la question : « Comment faire valoir dans la politique haïtienne des valeurs morales et humanistes d’inspiration chrétienne ? Nous sommes arrivés, poursuit-il, à la domination de la bestialité sur la civilisation, une minorité qualitative doit entraîner la quantité ».
Le rapport EMMU-III (Enquêtes, Mortalité, Morbidité et Utilisation des Services) publié en 2000 par le Ministère de la Santé Publique et de la Population, affirme que le sous-développement et la pauvreté en Haïti sont des problèmes techniques qui pourraient être résolus par l’établissement d’un État responsable, totalement dénué d’intérêt de classe. Comment l’État peut-il être responsable et au service du peuple si son autorité est toujours affaiblie par des forces traditionnelles constantes ; et qu’il n’a pour gouverne ni la loi fondamentale, ni la morale chrétienne, ni la morale sociale ? Réfléchissant sur la culpabilité naturelle et irrémédiable des hommes sans Dieu, l’apôtre Paul déclare : « ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous ».
En examinant ces paroles de l’Ecriture, nous ne pouvons espérer mieux actuellement en Haïti. En ce sens, nous sommes tous coupables. Coupables d’indifférence, de silence, de mépris et de violence. Complices d’infamie, de vilénie, et de condescendance. Coupables de notre attitude opportuniste, conformiste, et alarmiste. A travers toute notre histoire, nous avons cassé, divisé, brisé, détruit et avili tout ce que nous touchions. Présencens transformé la paix en haine, libéré le coupable et condamné le juste ; dédaigné la présence de Dieu et honoré les idoles, la créature, les anges déchus.
Nous sommes coupables d’avoir abandonné l’image de notre pays entre les mains des autres qui en profitent pour s’enrichir ou nous humilier, en présentant à l’étranger les artères les plus avilissantes de nos villes. Et dans notre malheur, nous n’avons même pas le goût d’apprécier avec satisfaction la valeur de notre patrimoine culturel souterrain, de nos ressources minières, et l’existence d’une richesse végétale incroyable que l’on trouve seulement dans cette région du monde.
Nous autres catholiques et protestants, détenteurs de la vérité biblique, laquelle révèle le caractère de Dieu et son plan pour tous les peuples qui invoquent son nom. Nous sommes coupables de n’avoir pas suffisamment élevé l’étendard de la paix véritable, et imposé la moralité d’inspiration chrétienne aux postes supérieurs de la nation. Nous sommes coupables envers les jeunes qui souffrent à travers le pays, nos fils, nos garçonnets, nos fillettes qui sont égarés dans les mornes, perdus dans les villes et dans les plaines, livrés à eux-mêmes, à la merci des bourreaux, des pédophiles, des tueurs de vies, et des assassins de survies.
Il est temps de travailler dans le sens d’un plus grand respect pour l’esprit haïtien. Nous devons recommencer à pardonner, à nous supporter les uns les autres, à aimer la vie, à vivre chaque jour et travailler pour développer nos potentialités. Nous devons rendre au passé sa véritable vocation ; c’est-à-dire, le laisser prendre sa place quelque part dans notre subconscient, arrêter de l’entretenir, afin qu’il cesse d’exercer une influence nocive sur notre vie présente et à venir. Nous avons besoin pour cela d’un idéal de conduite répondant aux besoins et aux aspirations de l’homme Haïtien.
Pour reprendre la pensée de Danache, l’on a aujourd’hui soif de lumière, de paix et de justice. Homme, éternellement malade, éternellement travaillé de désir, l’on a besoin d’une croyance qui rassure, qui pardonne, et qui guérit. Haïtien, c’est-à-dire faible, indéfendu, sans défense contre les menaces de notre propre pensée, et désarmé face aux suggestions d’une conscience obscurcie par les affres de la réalité. L’on a besoin d’un idéal religieux qui donne plus de résistance contre soi et plus d’énergie. Héritier d’un passé éminemment destructeur ; fils de la pensée, l’on a besoin d’une conception de Dieu qui concilie les légitimes hardiesses de la pensée et les aspirations de l’âme vers l’infini.
Le message Christique « Vivre dans l’unité », et « Aimez-vous les uns les autres » est le seul, actuellement qui possède à notre avis, la force et la vigueur nécessaires pour nous défendre contre nous-mêmes. Les peuples qui sont en possession de l’histoire lui doivent la plus grande partie de ce qu’ils ont réalisé de grand et de bien. Il est dans la condition humaine de désirer toujours, et il faut parfois viser l’impossible pour atteindre le possible. Le mal peut être combattu, la paix peut être restaurée, la justice peut être restituée, la vie peut recommencer en Haïti, si ensemble nous nous tenons la main pour reconstruire le pays, panser les plaies de notre société, et instaurer sur les ruines de l’égoïsme un monde nouveau, fait d’amour et de solidarité.
Dr. Jerry Moncoeur